- E.N.S.O.
- E.N.S.O.ÉVÉNEMENTS E.N.S.O.L’événement E.N.S.O. (El Niño-Southern Oscillation) est un phénomène d’interactions entre l’atmosphère et l’océan qui se produit de façon plus ou moins régulière dans le Pacifique sud. Cette anomalie climatique a des répercussions sur l’ensemble du globe. Récemment, le phénomène E.N.S.O. a été mis en évidence pour la première fois dans les régions tropicales de l’océan Indien et de l’océan Atlantique. L’E.N.S.O. est donc maintenant considéré comme un phénomène océanique global. Cela devrait faciliter l’explication des perturbations du climat dues aux interactions très fortes entre les océans tropicaux et l’atmosphère. Les perturbations, qui peuvent être “en phase” (océans Indien et Pacifique) ou “en chaîne” (océans Pacifique et Atlantique), suffiraient à expliquer les changements climatiques en Inde, en Indonésie, en Australie, en Amérique du Sud et en Afrique.LE PHÉNOMÈNE EL NIÑOÀ la fin du XIXe siècle, les géographes se sont intéressés à l’existence d’un courant chaud côtier localisé entre les ports de Paita et de Pascayamo le long de la côte péruvienne, dans le sud-est du Pacifique. Mais ce phénomène avait été observé pour la première fois au milieu du XVIe siècle par les explorateurs espagnols. L’apparition de ce courant pendant une période voisine de Noël est à l’origine de son nom d’El Niño.Plus récemment, l’appellation d’El Niño est donnée uniquement aux anomalies positives importantes de la température de la surface de l’océan Pacifique central et oriental. Ces anomalies sont d’ailleurs quasi périodiques. En effet, tous les trois à sept ans environ, une grande partie de l’océan Pacifique tropical attrape la “fièvre”. Il s’ensuit une perturbation totale de l’atmosphère globale avec modification du temps, d’abord dans les pays riverains du Pacifique. Les conséquences économiques et écologiques sont catastrophiques. Par exemple, aux États-Unis, les orages deviennent plus nombreux le long de la côte californienne, et des pluies intenses inondent le Centre-Sud. En revanche, les hivers qui suivent ces anomalies sont en général plus doux dans le Nord-Est. La sécheresse domine le long de la bordure ouest du Pacifique, y compris en Indonésie où les eaux de surface se refroidissent. Des feux de forêts font rage à Bornéo (Kalimantan) et en Australie orientale, où des tempêtes de poussière sont observées, notamment dans la région de Melbourne. Le long de la côte ouest de l’Amérique du Sud, les eaux, qui sont normalement les plus productives du monde, deviennent plus chaudes et s’appauvrissent donc en éléments nutritifs, ralentissant ainsi la production primaire du phytoplancton. Au large du Pérou, les anchois disparaissent en grande partie, pour deux raisons: la modification de la chaîne alimentaire et le déplacement des anchois plus au sud dans les eaux chiliennes où les poches d’eaux froides, plus étroites, rendent la tâche plus facile aux prédateurs (y compris les pêcheurs). On voit ainsi des écosystèmes entiers disparaître, entraînant la destruction massive d’espèces d’oiseaux océaniques tels que les pieds palmés bleus. L’industrie du guano est aussi considérablement touchée.L’OSCILLATION AUSTRALEDe 1923 à 1937, sir Gilbert Walker a été le premier à trouver une corrélation entre la variation interannuelle à grande échelle du champ de pression atmosphérique à la surface de l’océan Pacifique équatorial, les anomalies de la température de ce dernier et les fluctuations dans le régime des pluies. Il appela southern oscillation , ou oscillation australe, le phénomène atmosphérique: au sud de l’équateur, de hautes pressions dans l’est du Pacifique sont associées à de basses pressions dans l’ouest et vice versa. Ce n’est que vingt ans plus tard que Jakob A. B. Bjerknes fut capable de proposer des mécanismes physiques reliant l’oscillation australe et El Niño. Le phénomène climatique venait de changer de nom pour devenir l’E.N.S.O. (El Niño-Southern Oscillation). Un indice, le S.O.I. (Southern Oscillation Index), permet de mesurer l’intensité de l’oscillation australe (par exemple, la différence du champ de pression atmosphérique entre Tahiti, dans le Pacifique central, et Darwin, dans l’Ouest australien) ainsi que l’intensité des alizés le long de l’équateur. Des valeurs positives du S.O.I. correspondent à une situation normale ou froide, des valeurs négatives, à un El Niño.Les mécanismes physiques de l’E.N.S.O. dans l’océan Pacifique peuvent être résumés de la façon suivante. Quand les conditions sont normales, les alizés, qui sont des vents d’est, accumulent les eaux de surface dans l’ouest du Pacifique. La surface de l’océan y est alors plus haute de 50 centimètres que dans le Pacifique oriental. La température de l’océan dans l’ouest est élevée (30 0C environ, soit de 7 à 8 0C de plus que dans l’est). Il pleut en abondance en Indonésie. Dans l’est et le sud-est du Pacifique, les eaux fraîches et riches en éléments nutritifs permettent un bon développement des écosystèmes marins. Les pêches sont alors en plein essor. Quelquefois, comme en 1988-1989, le S.O.I. a de fortes valeurs positives. Les alizés sont alors tellement puissants que le Pacifique central et oriental devient très froid. Ce phénomène, plus rare, reçoit l’appellation de La Niña.Au contraire, pendant l’El Niño, le S.O.I. devient négatif: les alizés ralentissent soudainement et le processus qui vient d’être décrit se renverse. Ainsi, les eaux de surface sont maintenant très chaudes dans le centre et l’est de l’océan Pacifique. C’est alors que les inondations se produisent au Pérou et que la sécheresse sévit en Indonésie et en Australie. Les eaux péruviennes et équatoriales se trouvent dépourvues d’éléments nutritifs (nitrates, phosphates et silicates). Les conséquences climatologiques et écologiques dans le bassin du Pacifique sont alors faciles à imaginer. Les eaux anormalement chaudes du Pacifique équatorial et central favorisent l’évaporation et donc les précipitations. Par exemple, pendant l’“El Niño du siècle” de 1982-1983, des pluies diluviennes sont tombées sur les îles Marquises pendant l’hiver: 240 cm d’eau, alors que la normale à cette époque est de 30 cm! De nombreux cyclones tropicaux ont balayé la Polynésie en 1983 (six, de janvier à avril, ce qui est tout à fait anormal pour ces phénomènes, compte tenu de la basse latitude), trouvant leur source d’énergie dans l’océan très chaud. Pendant cet événement El Niño majeur, le Pérou reçut 3 mètres d’eau en six mois. Les petits anchois, qui constituent 95 p. 100 de la nourriture des oiseaux de mer côtiers dans l’Est, disparurent presque complètement. En contrepartie, la sécheresse dans l’Ouest (Indonésie) entraîna des feux de forêts (Bornéo), une maigre récolte de riz et la famine.Des modifications du climat sont également observées dans des régions plus éloignées du Pacifique; elles semblent associées à un El Niño. Ces corrélations portent le nom de téléconnexions (M. Glantz et al., 1987). Par exemple, on a noté une mousson moins active en Inde, la sécheresse au Sri Lanka, en Chine, dans le Sud-Est et l’Est africain (Zimbabwe, Éthiopie) et dans le nord-est du Brésil, et moins de cyclones tropicaux dans l’Atlantique. Dans l’année qui suit la fin de l’El Niño, il y a, en revanche, une recrudescence de l’activité cyclonique dans l’Atlantique, alors que des canicules dominent en Europe de l’Ouest.La prévision d’El Niño, suffisamment en avance de manière à prendre des mesures préventives, devient une nécessité, surtout lorsqu’on considère l’augmentation rapide de la démographie. Famines et maladies sont étroitement associées au phénomène. De plus, si l’on prend en compte le fait que les banques de données couvrent des périodes extrêmement courtes (115 ans pour l’atmosphère, 15 ans pour l’océan), la tâche des scientifiques est gigantesque. Une hypothèse de travail est que le climat n’est pas modifié par l’intervention humaine. Par exemple, l’augmentation de 0,4 0C de la température de la surface de l’océan Pacifique dans ces vingt dernières années est-elle le résultat d’un réchauffement global de la planète? Comment définir un état normal pour le système climatique? Quelle est l’origine du récent réchauffement du Pacifique, pendant plus de trois ans, et qui s’est terminé au début de 1995?Bien que de nombreuses questions puissent être posées, les années 1995 et 1996 ont vu les scientifiques progresser considérablement et commencer à entrevoir des solutions en ce qui concerne la modélisation numérique, la compréhension des mécanismes physiques et la prévision du phénomène E.N.S.O. en tant que phénomène global.E.N.S.O., UN PHÉNOMÈNE MONDIALLes téléconnexions entre la période chaude de l’E.N.S.O. dans le Pacifique (qui correspond à un El Niño dans le Pacifique central et oriental) et des changements climatiques globaux à court terme ont été mises en évidence pendant les années 1990. Les mécanismes physiques reliant ces variations climatiques sur des distances parfois très grandes (la moitié du globe) ont fait l’objet de nombreuses études. Un des résultats majeurs obtenu en 1995 est la découverte du prolongement du phénomène E.N.S.O. dans les régions tropicales de l’océan Indien et de l’océan Atlantique (Y. M. Tourre et W. B. White, 1995). Pour la première fois, une analyse fine de la surface et de la zone de subsurface de ces océans a été rendue possible grâce à plus de 650 000 mesures effectuées par des bateaux marchands, des navires de recherche et de pêche ainsi que par les marines nationales. La somme de données utilisées couvre une période d’environ quinze ans. Par exemple, le phénomène E.N.S.O. a été mis en évidence dans les variations du contenu thermique des couches supérieures de l’océan Indien (400 premiers mètres). De plus, alors que ce signal se déplace très lentement (environ 30 cm/s) vers l’est en direction de l’Indonésie dans les mers de Timor et de Banda, il a été découvert que le réchauffement maximal au cœur de l’océan Indien se produit au moment même où l’El Niño dans le Pacifique oriental est à son maximum. Les deux événements climatiques sont alors dits “en phase”. L’origine du phénomène dans l’océan Indien semble être associée à des perturbations très fortes dans les vents de moussons dans l’ouest de cet océan. Les raisons de ces variations du vent et leurs relations avec l’indice d’oscillation australe (le S.O.I.) font l’objet d’études approfondies.À la surface de l’océan Atlantique équatorial, un réchauffement cyclique a aussi été découvert, mais de douze à dix-huit mois après la fin de l’El Niño dans le Pacifique oriental. Ce déphasage semble être lié à une réponse passive de la surface de cet océan due à un changement important de la pression atmosphérique et des alizés dans cette région.Le fait que l’E.N.S.O. soit maintenant considéré comme un phénomène global, avec une présence dans les trois principaux océans tropicaux, devrait faciliter l’explication des perturbations du climat sur toute la planète. Par exemple, localement, l’intensité des transports horizontaux d’humidité peut être fortement modifiée par des anomalies climatiques océaniques. L’humidité atmosphérique pouvant être considérée comme le carburant de l’atmosphère, il s’ensuit des modifications des régimes pluviométriques, qui résultent du couplage très fort océans-atmosphère. L’E.N.S.O. contribue à ces anomalies ou modifications du couplage. Les perturbations, qui peuvent être en phase (océans Pacifique et Indien) ou en chaîne (océans Pacifique et Atlantique), suffiraient à expliquer les changements climatiques en Inde, en Indonésie et en Australie, ainsi qu’en Amérique du Sud et en Afrique.Tous ces résultats sont fondés sur l’observation. Ils présentent l’avantage de souligner les éléments qui méritent d’être pris en compte dans des modèles numériques dits de circulation générale. La modélisation numérique devrait permettre une meilleure compréhension des processus physiques qui entrent en jeu dans le couplage des océans avec l’atmosphère globale. Il est encourageant de voir que des progrès ont été effectués dans la prévision de l’El Niño Pacifique, grâce à l’assimilation de données dans un modèle de prévision numérique couplé (D. Chen et al., 1995). Des études similaires sont en voie de développement pour les océans Indien et Atlantique.Un des buts ultimes de toutes ces recherches et travaux est d’améliorer la prévision climatique à court terme, afin que des mesures préventives soient prises sur une planète où la population augmente exponentiellement. Les destructions, famines et autres épidémies associées à des anomalies climatiques comme l’E.N.S.O. deviennent en effet très significatives.
Encyclopédie Universelle. 2012.